Dissoudre l'anxiété par le yoga et la méditation

Infos Yoga
Publiée dans Infos Yoga n°122
par Emile Lozevis, enseignant de yoga et de méditation
Ce texte est issu d'une conférence donnée le 9 Avril 2023 au salon Respire la vie à Vannes

1) Les Caractéristiques de l'Anxiété

L'anxiété est provoquée par des pensées centrées sur des préoccupations venant des peurs, des angoisses, des situations difficiles à résoudre, etc... On peut l'associer à la rumination mentale.

 

Les pensées envahissantes en excès empêchent d'avoir un champ de conscience lucide. On est dans l'inquiétude, le doute, les craintes. On peut dire être dans un état anxiogène. Le trouble anxieux généralisé se caractérise par un sentiment persistant d'insécurité, une inquiétude permanente et excessive. C'est aussi l'envahissement par la surabondance de pensées provoquée par les évènements perturbateurs extérieurs chargés d'un champ de réactions émotionnelles (tétanisation, peur, fuite, stress, angoisse, situation inconfortable). On est esclave de nos pensées. Dans beaucoup de cas il y a culpabilisation : que va penser l'entourage ? Ce qui provoque l'anxiété.

 

2) Point de vue de Shri Aurobindo sur le fonctionnement du mental

 Shri Aurobindo

J'étudie toutes les données point par point sur ses recherches psychologiques et spirituelles dans une dizaine de ses ouvrages Lettres sur le yoga, le journal du yoga - ce qui donne un éclairage sur l'utilité du yoga dans notre vie. Je le considère comme un psychothérapeute spirituel dans l'analyse profonde du fonctionnement des mécanismes subtils de notre psychisme, et dans l'élaboration de nos capacités futures.

C'est l'activité normale du mental physique (a) que d'être plein de pensées habituelles, ordinaires et répétitives. Il est sans cesse préoccupé par des objets et des activités extérieurs. Des réactions de toutes sortes au contact de la vie et de notre entourage remontent sans cesse du vital (1) vers le mental absorbé par les émotions, les passions, les désirs (connotation du désir ici : être tenté par toujours plus). Pour réduire le flot des pensées, il faut pratiquer des exercices jusqu'à ce que l'habitude de la tranquillité s'empare du mental physique, il y aura alors un détachement du mouvement habituel des pensées, et une ouverture à la vraie perception des choses.

Le mental physique transformé impose au vital physique l'attitude et le sentiment juste, face à des impulsions et suggestions fausses. Cette partie vitale inférieure n'agit pas selon la raison, elle est mue par le désir, l'impulsion, et l'habitude. Par le travail persistant pour obtenir le flot de paix qui envahit le corps, la zone du vital est régénérée ou purifiée de tous ces contenus néfastes, ce qui évitera ou désactivera l'anxiété.

3) Point de vue de Jacques Vigne, Psychiatre spécialiste de la méditation

Dans des stages et conférences, il a souvent dit :

- Observer son propre esprit et comprendre ce qui se passe en s'aidant par exemple de l'observation du souffle pour aller vers l'absorption du mental, tout en sachant qu'il y aura des distractions dans son propre esprit.

- Les 2 causes principales de l'anxiété sont d'être séparé de ce que l'on aime, ou d'être associé à ce que l'on n'aime pas.
Pour expliquer ce principe des causes, l'anxiété d'être séparé de ce que l'on aime est expérimentée lorsqu'il y a une séparation. D'un côté l'anxiété, et de l'autre, la projection vers les gens qui nous inspirent, et vers une activité ou un travail plaisant, il y a une tendance à ces préférences et cela aura tendance aussi à masquer l'anxiété. En revanche, lorsque l'on est en contact avec des personnes déplaisantes, conflictuelles ou que l'on a une activité ou un travail déplaisant, cela peut faire surgir l'anxiété, et cela provoque l'association à l'anxiété, il n'y a pas d'harmonie avec ce qui est déplaisant.
Si nous avons travaillé suffisamment le détachement, qui est un antidote, il y a une base consolidée en soi et l'anxiété n'existe plus, il y a une sorte d'indifférence entre les choses plaisantes et déplaisantes et il y a une stabilité de notre psychologie, on ne souffre plus des diverses situations, mais on ira toujours vers une préférence.
Accepter davantage les autres comme ils sont, lâcher prise.

Être proche du corps et repérer les zones d'émotions perturbatrices.

Il y a 4 zones dans le corps propices à l'anxiété : le plexus solaire, la gorge (nœud dans la gorge), la mâchoire (crispation), les sourcils (froncement). La respiration perturbée entraîne l'anxiété. Dans un état anxieux la respiration manque d'ampleur, elle est saccadée et courte. On peut travailler ces zones par le yoga pour défaire le stress, défaire les racines de l'anxiété dans le corps.

4) Mots clés de l'Anxiété

Rumination mentale, vagabondage mental, doute, être dubitatif, hésitant... Sous l'emprise de ses émotions, de ses peurs, on perd ses moyens et on est dans la tourmente. Dans cette détresse, on peut glisser vers la dépression. L'énergie psychique est affaiblie. Les pensées perturbatrices troublent et affaiblissent le mental. L'envahissement par les émotions paralyse nos forces, on n'arrive pas à trouver le discernement pour agir.

5) Psychologie du yoga sur L'Anxiété

Dans ce cas on cherche un appui, soit un psychothérapeute, un psychiatre, une méthode de yoga, les 2 associés, ou d'autres méthodes.
En yoga, il s'agit de rechercher la maîtrise des pensées, de trouver différentes techniques pour calmer le mental et le rendre silencieux. A ce moment-là, on retrouve un état agréable, « une
zone de confort » à l'intérieur de soi. L’effet du trouble, du désarroi, de l'ébranlement s'estompe, il n'y plus de dualité dans notre psychologie.

Raphael Tuck & Sons

Les techniques de Yoga : respiration complète, divers pranayamas, cohérence cardiaque, travail sur le corps par les postures, yoga nidra, méditation sont des outils importants. À force de travail, le mental trouve une stabilité et on peut le rendre inébranlable. On retrouve un esprit apaisé dans la sérénité. Une structure se transforme dans notre psychologie, et elle se renforce.
Au fur et à mesure, cela développe une autre dimension psychologique qui amène au détachement intérieur : on relativise l'évènement, on développe l'équanimité (la possibilité de rester serein devant tout évènement). La charge émotionnelle de l'évènement est diminuée ou dissoute. Alors, il y a peu d'activité des pensées.

Ex : lorsque l'on provoque à tort un accident avec un blessé, un licenciement, cela produit un choc, il y a un mouvement de peur, d'inquiétude, de crainte, d'embarras qui s'empare de nous. Les pensées vont se mettre en mouvement et selon notre champ de stabilité, on sera plus ou moins affecté.

Peu à peu le yoga réalise titiksha (2) : c'est le pouvoir d'endurance, le pouvoir de supporter avec calme et fermeté les choses agréables ou douloureuses sans qu'il n'y ait perturbation au centre de l'être.

a) Pratique de l'observation du souffle contre l'anxiété, une méthode de méditation.
La pratique de la pleine conscience du souffle consiste à prolonger notre prise de conscience de la respiration. Quand se produit une distraction de l'esprit, il faut chercher à revenir continuellement à l'attention à sa respiration, placer son attention sur le souffle. La pleine conscience est définie comme la faculté mentale de maintenir l'attention. Au début, des pensées involontaires abondantes se déversent comme une cascade, et progressivement elles coulent comme une rivière descendant en douceur une étroite vallée.

b) Le travail postural
Parfois, les résistances intérieures du mental ne cèdent pas facilement pour obtenir une tranquillité d'esprit. La pratique posturale vient alors souvent en aide pour dissoudre les tensions dans le corps, et amener l'esprit au calme intérieur . La pratique posturale peut être considérée comme une possibilité méditative du fait qu'elle induit une concentration dans le souffle et la posture.

c) La respiration complète
Dans le cas de manque d'énergie, de fatigue, ou quand l'énergie psychique est affaiblie, la respiration complète devient la technique appropriée pour recharger l'organisme, et l'anxiété disparaît. Il convient d'établir l'inspiration et l'expiration progressivement de plus en plus longues, avec des rétentions poumons pleins, et / ou poumons vides d'une dizaine de secondes pendant une demi-heure. J'ai mené ces techniques durant 45 ans dans le cadre de mes cours comme à titre personnel. On peut reconstruire une solidité psychologique intérieure grâce à elles.

6) Psychologie Spirituelles de S. Aurobindo (3)

S. Aurobindo a dit à plusieurs reprises qu'il fallait utiliser tous les moyens du yoga, y compris la méditation, pour essayer de calmer le mental. Une fois le mental apaisé grâce à la dissolution des pensées, cela développe un courant de force fluide pas toujours perceptible, comme un flot de paix envahissant le corps vers le vital. Ainsi, les perturbations sont dissoutes progressivement (peur, violence, anxiété, domination etc....). (4) Si vous persévérez, cette tranquillité deviendra de plus en plus fréquente et durable jusqu'à constituer en vous une base de paix et de bonheur, alors aucun trouble apparaissant à la surface ne pourra plus ni vous pénétrer, ni vous ébranler.

7) Du Point de vue des neurosciences

Dans son livre Pratique de méditation laïque, J. Vigne dit que grâce à l'imagerie cérébrale par les scanners, on a pu cartographier les zones du cerveau des méditants. La méditation diminue
l'activité de l'amygdale qui est un des centres principaux du stress et de l'anxiété, d'après une étude réalisée par les chercheurs de l'hôpital général du Massachussetts. La méditation diminue la "peur du danger", en favorisant le discernement pour agir en maîtrisant la situation.

Selon Science et avenir d'Avril 2023, Clés du contrôle sur soi, la méditation régulière augmente la taille de l'hippocampe, ce qui induit moins de dépression. Christophe André, psychiatre, dit à ce même journal que la méditation baisse la fréquence et l'intensité des émotions négatives, amène une diminution des troubles anxieux et a la capacité de développer les affects positifs tels que l'enthousiasme, l'inspiration et la vivacité.

8) Film «les étonnantes vertus de la méditation», sur Arte (début Avril 2023) 

L'IRM montre la plasticité du cerveau grâce à la méditation. Il y a un renforcement des tissus cérébraux de L'insula. On note l'allongement des brins d'A.D.N — les télomères — ce qui réduit le vieillissement cellulaire et permet de vieillir en bonne santé : moins d'anxiété, réduction des maladies inflammatoires etc...

Anxiété, Edvard Munch

9) Antidote psychologique de l'Anxiété

Il faut savoir que le détachement est une notion fondamentale dans le yoga. C'est la disposition psychologique qui permet de ne plus être affecté par les situations douloureuses de l'existence. L'équanimité (samata) entraîne une réaction émotionnelle calme et égale devant toutes situations, conflictuelles ou non. Dans une pratique de yoga régulière, ces deux composantes permettent de ne plus activer les ruminations mentales qui affaiblissent l'énergie psychique et qui peuvent occasionner dépression et souffrance.

Comprendre l'anxiété par l'enseignement de la Bhagavad Gîtâ

C'est l'histoire d'une guerre fratricide entre deux branches de la même famille, les Kauravas et leur cousin et les Pandavas. Sur le champ de bataille, il y avait une contestation illégitimite de la part d'un chef de clan des Pandavas, Duryodhana. Il y eut des tentatives de négociations entreprises par Arjuna initié par Krishna auprès de Duryodhana qui ne voulait céder sur rien.

Krishna est un instructeur éclairé, comme le serait un instructeur de yoga, un psychiatre qui conseillent comment procéder face à des questionnements ou de l'anxiété. Alors, les deux armées de chaque clan furent présentées sur le champ de bataille du Kurukshetra au 2é siècle av JC en vue de s'affronter. Krishna demanda à Arjuna d'avancer son char au milieu du champ de bataille ; ce dernier vit alors dans le camp adverse des éléments de sa famille.

Krishna et Arjuna

Ajurna fut assailli par le doute, la confusion, la pitié et il perdit tous ses moyens physiques et intellectuels (v28/30 ch 1)(5). Son corps trembla, sa bouche fut sèche, son arc et ses flèches lui tombèrent des mains, il tomba en dépression sous l'emprise de ses émotions et de ses peurs. Alors qu'il s'apprêtait à livrer bataille pour une cause juste, Il se sentait coupable de cette action (v 28 à 46, ch 1)(6),i1 était dans la tourmente. C'est vrai que pour beaucoup de monde, une décision comme celle-là n'est pas facile à prendre.
Arjuna, en questionnement sur l'action de cette guerre, incertain de son utilité, demande de l'aide et de la compréhension à Krishna tout au long des 18 chapitres de la Bhagavad Gîtâ. Il reste souvent dubitatif, hésitant, dans le doute sur le sur le bien-fondé de cette guerre et des réponses de Krishna
. Krishna lui fait découvrir peu à peu la métaphysique du yoga pour agir sur les actions collectives et individuelles vers la vérité la plus haute. Il est certain, pour cette décision difficile à prendre, que le doute domine pour Arjuna Krishna fait comprendre à Arjuna la nécessité du combat.

Le désarroi, la pitié d'Arjuna devant cette scène montre le rôle des pensées qui ont pour effet de troubler et d'affaiblir le mental. Comme la pitié, les scrupules le paralysent, son esprit est troublé et ne sait discerner le devoir (v7, ch2)(7). Il est envahi par les émotions et l'angoisse, cela paralyse ses forces, il n'arrive pas à trouver la force nécessaire et le discernement pour agir. Krishna lui dit que la discipline du yoga agit sur la stabilité du mental pour le rendre inébranlable ce qui lui amènera le détachement intérieur. Il pourra se libérer de la crainte. Il faut trouver un esprit apaisé, et dans la sérénité, il retrouvera la fin des souffrances et percevra la vérité qui s'établira. Pour ne pas sombrer, il faut exécuter les actes dans un esprit de détachement pour le bien du monde, être dans l'équanimité, détaché de l'action, être dans le contentement. Le détachement est indispensable si l'on veut être libre des attaques du désir, de la colère et de la passion, pour être dans l'équanimité et ne pas être affecté par les circonstances extérieures (v 20, 21, 22, ch5)(8). Une fois la stabilité atteinte par le travail intérieur, Ajurna a compris - grâce à la connaissance philosophique de Krishna l'action juste à mener pour livrer bataille.

Notes
(a) Mental physique : c'est le mental ordinaire associé à la matière du corps
1) Vital : zone ventrale où tous les contenus psychiques néfastes sont imprimés et remontent vers le mental selon Aurobindo, voir Infos yoga no 114
2) Titiksha : Journal du Yoga , livre 1, édition Aurobbhâshâ S.Aurobindo
3) Lettres sur le Yoga Tome 5, pagel 82, Edition S. Aurobindo Ashram
4) Lettre sur le yoga Tome 6, p 29, même édition que Tome 5
5, 6, 7, 8 : Versets et chapitres de la Bhagavad Gîtâ, Yves Baudron, édition CVR

A propos de l'auteur :
Emile Lozevis est professeur de Yoga et enseignant de méditation à Vannes et Ambon. Formé par Ajit et Selvi Sarkar, Yoga intégral de S. Aurobindo. Méditation auprès de Jacques Vigne. Recherche dans les écrits de Sri Aurobindo.