Le Yoga et l’enfant, Crises & éducation

Publiée dans Infos Yoga n°144
par Emile Lozevis, enseignant de yoga et de méditation

Caractéristiques du vital et du mental (1)

Le vital (région ventrale) est constitué en majeure partie d’instincts, d’impulsions, de sensations et de sentiments automatiques et habituels, c’est le mental qui explique et justifie ces mouvements.

Pour comprendre le fonctionnement de l’un et l’autre, le mental peut juger et poser des questions, le vital ne peut que répondre, je veux, j’aime, je déteste, j’ai envie.
Observez les comportements de la plupart des jeunes enfants de moins de 7 ans et plus, ils sont sous la tutelle de leur vital. Souvent, les crises issues de leurs désirs exaltés d'impatience deviennent incontrôlables, et il est très difficile de les raisonner. Leur mental ne peut pas raisonner, il faut l'appui des adultes pour les apaiser. On comprend alors l’importance de la purification du vital.
Sri Aurobindo nous montre bien que ce qui perturbe le mental, ce sont les contenus psychiques néfastes qui remontent du vital. Un exemple pour comprendre : une attitude de haine remonte du vital, va imprégner le mental et provoquer des actions de haine sur autrui.
Pour dissoudre les contenus néfastes dans le vital, il est possible d'utiliser tous les outils du yoga pour favoriser le calme mental. Cela se fera par l’action de la force spirituelle du yoga qui agira en profondeur sur le vital. Je peux confirmer qu’au bout de tant d’années de pratique, le vital se purifie de ces contenus, alors le mental n’est plus encombré de ces mémoires. À ce moment-là, les pratiques de méditation se réalisent plus facilement et permettent d'aller vers le calme profond. Dans les pratiques de yoga, on peut faire année après année la synthèse de ce qui a disparu dans notre comportement.

Comment agir sur les crises de l’enfant.

Certains pourront trouver des solutions par la pratique du yoga, d’autres par la pratique des sports, le théâtre, la musique, la lecture, le chant, le dessin, la peinture, etc. Ces différentes activités aident à canaliser le mental.

Parcours d’Ajit et de Selvi Sarkar

Ajit Sarkar est arrivé du Bengale à l’Ashram de Pondichéry en 1945 avec ses parents, il avait 8 ans. Kedar, son père qui était Sannyâsin (2) connaissait le yoga, il était attiré par le travail de Sri Aurobindo. Ajit apprit le yoga avec son père, et ensuite avec Ambou, qui, condamné par le rachitisme, vécut jusqu’ à 90 ans grâce au yoga.
Ajit était intéressé par l’éducation physique et les compétitions sportives. Il était délégué par le directeur de l’éducation physique pour entraîner les jeunes de l’Ashram. En 1968, il est parti pour Paris à l’INSEP (Institut National du Sport et Éducation Physique) pour étudier l’éducation physique en France et devenir professeur d’Éducation Physique et Sportive. Il apprenait la concentration et la bonne attitude pour les compétitions sportives des athlètes de haut niveau. En 1977, il a créé un centre d'activité physique et culturel Indien à Paris, « Le Soleil d’Or » et y a enseigné le yoga avec Selvi, sa femme. Il a formé aussi des professeurs de yoga sur tout le territoire, et à Pondichéry ensuite.
Selvi était en même temps qu’Ajit à l’ashram. Son père, juge à Pondichéry, connaissait Sri Aurobindo depuis son enfance. Elle enseignait les mathématiques, le Barata Nathyam (danse indienne) la gymnastique sportive et le yoga appris auprès d’Ajit.
À Paris, elle enseignait le Yoga, la danse indienne, le massage bébé. Elle participait à l’animation des stages avec Ajit. D’ailleurs pour la petite anecdote, Nicole Archambault, présidente de l’asso Yogarasa à Nantes, qui est aujourd'hui décédée, disait : "je n’ai jamais vu un couple enseigner le yoga aussi harmonieusement". Après la disparition d’Ajit, Selvi continue d’enseigner le yoga.
Renajit, le frère d’Ajit, enseignait le sanskrit à l’université de Groningue en Hollande et le Vedanta (philosophie spirituelle du yoga) dans les stages de Yoga.

Expérience sur l’éducation à l’Ashram de Pondichéry

À l’Ashram de Pondichéry, Ajit et Selvi Sarkar ont travaillé sur des méthodes d’enseignement des enfants, issus des informations et des appuis de Sri Aurobindo et de Mère (3). Depuis 1943, l'éducation des enfants à l’Ashram est basée sur des méthodes d’enseignements inspirées de la Mère ainsi que de différents professeurs, issus de la formation Montessori. Cet enseignement continue aujourd’hui à l’école de Vellai Thamarai grâce à Ajit et Selvi et l’équipe de professeurs. Les méthodes sont un peu différentes, car ils sont obligés de respecter les contraintes gouvernementales indiennes.

La conception de l’éducation selon Mère, compagne spirituelle de Sri Aurobindo.

Selon le document de Mère, "l’éducation (4)" :
« Dans la nature humaine, le vital est un tyran despotique et exigeant. Par son obscur et agressif égoïsme, il mène à tous les conflits, toutes les misères, toutes les déceptions, tous les découragements, et aboutit bien souvent à des catastrophes. Il faut apprendre à l’enfant à observer, à noter ses réactions, ses impulsions et leurs causes, les mouvements de violence et d’emportement, les instincts de possession et de domination. Pour faire croître la volonté de progrès et de perfectionnent, lui donner des arguments pour faire cesser ces réactions et la nécessité du respect de soi et des autres... »
« …Il est nécessaire de garder tous les jours un peu de temps libre pour faire la revue des pensées et rejeter celles qui sont indésirables… ».
« … L’éducation mentale est considérée comme importante dans le développement psychologique de l’enfant. Ce n’est pas l’abondance de matières pour les études qui compte, mais le développement du mental pour avoir des facultés requises afin d'être un bon et utile instrument. Ce qui empêche le plus le progrès mental chez les enfants est la constante dispersion de la pensée. Il faut tout mettre en œuvre pour le développement du pouvoir de concentration et de la capacité d’attention, depuis les jeux, les activités sportives, le yoga et même les récompenses ».
Ajit Sarkar dit lui-même dans son livre (4) « Si vous avez plein de pensées dans la tête, l’énergie est dissipée, si vous êtes calme, vous avez accès à votre réserve de moyens que vous pouvez dépenser dans la bonne direction au bon moment ».

« L’ingéniosité de l’éducateur est la capacité à susciter chez l’enfant l’intérêt pour ce qu’on veut lui enseigner, le goût pour le travail, la volonté de progrès ».

Vellai Thamarai, école expérimentale

L’idée d’Ajit Sarkar, en faisant construire cette école, était de rendre les enfants plus heureux par l’éducation selon l’optique de Mère ; ces enfants viennent des familles les plus pauvres de la région de Vellai Thamarai. En même temps que l’enseignement des diverses matières générales, les disciplines artistiques et sportives sont enseignées régulièrement. On y trouve, la danse, le chant, le dessin, le théâtre, le yoga, les diverses activités sportives, les jeux et l’étude de 4 langues (hindi, tamoul, anglais, français).
Selon Ananda Vadivelou, président de l’école : « Les élèves sont plus éveillés, très disciplinés, plus calmes, plus attentifs dans les études et ont de meilleurs résultats scolaires, ils pratiquent quotidiennement le Yoga ».
D'après Selvi Sarkar : « Les enfants aiment aller à l’école et quand ils quittent l’école pour continuer leurs études ailleurs, ils sont tout de suite perçus par les nouveaux enseignants comme enfants de l'école Vellai Thamarai. »

L’expérience de Micheline Flak avec les enfants

Elle a 40 ans d’expérience dans la pédagogie du yoga à l’école qu’elle a introduite au collège Condorcet à Paris. En 1978 avec Jacques de Coulon, elle a fondé le RYE (recherche sur le yoga dans l’éducation) qui a reçu en 2013, l’agrément de l’éducation nationale.
Elle indique dans son livre (5) Le manuel du yoga à l’école : « L’alchimie transformatrice des pulsions incontrôlées constitue à la fois la méthode et le but qui est la maîtrise de soi ». Elle propose dans cet ouvrage plusieurs techniques de yoga : postures, relaxation, technique du souffle, concentration sur un objet, yoga, nidra, etc.
Elle dit ceci (6) : « Tout le monde admet aujourd’hui que les jeunes doivent savoir calmer leur agitation mentale et mettre un frein à leurs pulsions violentes ».


Expérience de quelques pratiques de Yoga
Durant les TAP (temps d’activités périscolaires) à Ambon (56) de 2017 à 2018, j’ai eu l’occasion d’expérimenter diverses techniques de yoga sur des enfants de 5 à 11 ans.
Le trâtak était la technique la mieux suivie, la concentration sur une flamme était magique pour eux, elle leur permettait de développer leur attention et de calmer les pensées. Certains pratiquaient chez eux, car je leur avais dit que cela améliorait l’apprentissage dans les études.
La 2ème technique que je leur ai proposée était l’observation du souffle dans le nez ; pour certains, cet exercice canalisait l’esprit vers un état de calme, ils étaient stupéfaits du pouvoir calmant.
Je leur ai ensuite proposé de compter les respirations cela exigeait d’eux une plus grande attention : inspire 1, expire 2, inspire 3 etc. Ils comptaient jusqu’à 30 et recommençaient pendant 3 minutes.
Nous avons également vu la posture de l’arc sur le ventre, elle peut être proposé en particulier aux enfants agités, car elle demande un grand effort, une plus grande concentration sur le souffle et cela apaise rapidement le mental. J’ai remarqué que les postures sur le ventre agissent beaucoup sur le vital (le plexus ventral est la région vitale), par exemple sur la dissolution des angoisses.
Enfin, nous avons vu la respiration complète qui procure un certain apaisement.

Effet sur les résultats scolaires
Il faut bien comprendre que si une pratique de yoga régulière et quotidienne, même courte, est proposée dans les écoles, il y aura une transformation progressive d’un comportement de plus en plus calme. On constate une plus grande réceptivité aux intuitions et aux inspirations venant du mental apaisé. Observez les enfants d’une disposition calme, ils ont des aptitudes de patience et de créativité pour le dessin, l’écriture, l’art etc…
Cela améliore la capacité de choisir en conscience de ce qui leur convient pour la vie, de meilleurs résultats dans les études, puis dans la vie professionnelle. Le psychisme n’est plus asservi aux contenus perturbateurs du vital, cela produit un état plus heureux en soi.

(1) Sri Aurobindo, Lettres sur le Yoga, Buschet/Chastel, Tome 6, P 29
(2) Ascète, renonçant au monde ordinaire.
(3) Mirra Alfassa, nommée d’abord ‘Mère’ par Sri Aurobindo, était ensuite appelée ainsi par tous.
(4) La Mère, Éducation, Sri Aurobindo Ashram Pondichéry
(5) Le Yoga selon Ajit Sarkar, auto-édition, voir près de l’asso Vellai Thamarai
(6) Micheline Flak, Jacques De Coulon, Le manuel du Yoga à l'école, édition Payot

A propos de l'auteur :
Emile Lozevis professeur de Yoga dans le Morbihan, issu du Yoga intégral de S. Aurobindo, formé par Ajit et Selvi Sarkar.